Monsieur Dieudonné Mwenze, Monsieur l’Ambassadeur de la paix, voici ma réponse à votre réponse.
« Comment scientifique de ce rang peut-il méconnaître qu’un Règlement Intérieur (RI) d’un chambre parlementaire à force de loi ? »
R/ Tout dépend de l’entendement que vous avez de cette expression. En Droit, on dit d’un texte qu’il a » force de loi » lorsqu’on veut signifier que celui-ci, comme une loi, produit des effets juridiques, c’est-à-dire est capable de créer des droits et des obligations au bénéfice ou à charge des personnes auxquelles il s’applique. Cela concerne, au sens large, tout texte juridique, du simple règlement à la Constitution. L’expression ne signifie pas forcément que ce texte juridique est nécessairement une « loi » au sens strict du terme. Cela me conduit à vous expliquer ce que c’est une « loi » en Droit.
Au sens large du terme, une « loi » désigne toute règle de droit édictée par une autorité publique, sous la menace de la sanction publique, en vue de régir certaines situations, certaines matières ou certaines personnes. Dans ce sens, une « loi » peut être d’origine parlementaire (loi organique, loi ordinaire, loi-cadre, loi constitutionnelle…) ou d’origine exécutive (c’est le domaine des « règlements », qu’il s’agisse des ordonnances présidentielles, des décrets du Premier ministre, des arrêtés des ministres ou des gouverneurs de province, ou même de simples décisions ou directives des autres autorités administratives ).
En revanche, au sens strict du terme, une « loi » désigne exclusivement la règle de droit écrite, de nature générale et permanente, qui est adoptée par le Parlement dans l’exercice de son pouvoir législatif (différent de son pouvoir de contrôle ou du pouvoir réglementaire de certains de ses organes ) et ce, dans le domaine des compétences lui dévolues par la Constitution (article 122 et 123 chez nous). Dans ce sens, l’expression « loi » exclut tous les actes des autorités exécutives citées ci-haut ainsi que ceux du Parlement qui ne relèvent pas de son pouvoir « législatif », c’est-à-dire de son pouvoir d’édicter des règles générales et permanentes de cette nature (c’est ici que se situe tous les actes parlementaires non-legislatis: résolutions, recommandations, motions…).
C’est dans ce sens strict qu’il ne convient ni de confondre ni d’assimiler une « loi » à un Règlement intérieur d’une Chambre parlementaire. La première est de portée générale, c’est-à-dire s’applique à toutes les personnes sans distinction ; le second est de portée limitée, c’est-à-dire ne s’applique qu’aux seules personnes auxquelles il s’adresse (parlementaires, personnel du Parlement ainsi que toute personne qui se met en relation avec le Parlement et dans la durée de cette relation ). La première est adoptée par l’Assemblée plénière d’une Chambre parlementaire selon la procédure fixée dans la Constitution (initiative, discussion en commission, adoption, navette parlementaire en situation bicamériste, promulgation par le Chef de l’État, précédée ou non d’un contrôle de constitutionnalité devant le juge constitutionnel ); le second ne parcourt pas nécessairement toutes ces étapes, par ailleurs non décrites dans la Constitution (en particulier l’étape de la navette parlementaire et de la promulgation par le chef de l’État ). La première régit des matières aussi diverses que générales interessant tout le pays (art. 122 et 123 de la Constitution ); le second ne régit que les matières liées au fonctionnement interne d’une Chambre parlementaire (organisation de cette Chambre parlementaire; fonctionnement de ses organes; droits, obligations et discipline de ses membres ou de son personnel, etc.). C’est en ce sens qu’on dit qu’une loi est de portée générale tandis que le Règlement intérieur d’une Chambre parlementaire n’a qu’une portée limitée à certaines personnes et à certaines matières.
D’où une grande différence entre les deux ! Celle-ci tient à tous les éléments que je viens d’indiquer. J’espère que vous avez compris que « avoir force de loi » ne signifie pas nécessairement « loi », et que ce dernier terme, du moins dans son strict, ne signifie pas « Règlement intérieur » d’une Chambre parlementaire. Bref, le Règlement intérieur d’une Chambre parlementaire n’est pas une loi, au sens strict du terme !
« 1. Le Règlement Intérieur régit le fonctionnement interne de la chambre parlementaire indépendante et autonome. C’est un RI qui n’est pas comme tout autre RI. Il est constitutionnel contrairement à ce que prétend le prof., car il est prévu dans notre Constitution »
R/ Le Règlement intérieur d’une Chambre parlementaire est certainement constitutionnel parce qu’il est prévu par la Constitution et n’est adopté que conformément à celle-ci. Le dire ne signifie pas pour autant qu’il a la même valeur juridique qu’une Constitution, et son contrôle constitutionnel préalable (art. 112 de la Constitution) n’en transforme pas, pour autant, les dispositions en règles de nature constitutionnelle. Ses règles demeurent de nature réglementaire et ce contrôle constitutionnel préalable est imposé uniquement afin de s’assurer que, pris uniquement sur pied de la Constitution – d’où son qualificatif de « règlement autonome » – ce règlement ne viole pas la Constitution et que, s’il en était le cas, il puisse être purgé, c’est-à-dire-dire expulsé de l’ordonnancement juridique national. Bref, le Règlement intérieur d’une Chambre parlementaire est un règlement – autonome ça s’entend – et son caractère « constitutionnel » ne signifie pas pour autant qu’il contient des règles ou des principes de nature ou de valeur constitutionnelle !
« C’est pour cela que notre loi fondamentale prévoit en son article 112, que chaque chambre parlementaire adopte son propre RI et qu’avant sa mise en application, il doit être obligatoirement transmis par le Président de son bureau provisoire à la Cour constitutionnelle qui doit se prononcer sur sa conformité à la Constitution dans un délai de 15 jours et que, passé ce délai, il est réputé conforme ».
R/ Voilà ! C’est correct, sous réserve des remarques faites ci-avant concernant sa nature exacte (règlement autonome) et la nature juridique de ses règles (règles non constitutionnelles).
« Et donc, un RI d’une chambre parlementaire, même n’étant pas appelé loi, a force de loi, et d’ailleurs semblable à toute loi organique (loi importante) dont son vote exige d’atteindre un quorum de majorité absolue et sa promulgation par le Chef de l’État, lui impose de saisir la Cour constitutionnelle pour la même conformité à la Constitution (Cfr article 124 de la Constitution) »
R/ Sur l’expression « avoir force de loi », cfr supra. Sur l’assimilation du régime du Règlement intérieur avec celui des lois organiques, quelques précisions s’imposent.
Le Règlement intérieur d’une Chambre parlementaire, comme une loi organique, est soumis à un contrôle obligatoire et préalable de constitutionnalité (art. 112 et 124 de la Constitution ). Comme je l’ai expliqué plus haut, ce contrôle vise simplement à s’assurer que, prises directement sur pied de la Constitution, ces deux normes juridiques ne violent pas celle-ci, en tant que Loi fondamentale et suprême d’un État. Les deux ne sont cependant pas, pour ce faire, de mêmes natures juridiques. La loi organique reste une loi, au sens strict expliqué plus haut; le Règlement intérieur reste un règlement autonome, selon les mêmes distinctions opérées plus haut.
D’autre part, s’il est correct d’affirmer que le quorum de vote des lois organiques est, chez nous, celui de la « majorité absolue » (art.124), il paraît cependant inconvenant de rapprocher, sur cette base, le régime juridique de la loi organique avec celui du Règlement intérieur; car un tel quorum n’est nullement indiqué dans la Constitution, s’agissant du Règlement intérieur. Même celui des lois ordinaires n’est même pas indiqué dans la Constitution, sauf dans les Règlements intérieurs respectifs des deux Chambres ! Locus regit actum, pourquoi donc les avoir rapprochés ici ? Est-ce une façon d’inférer que le Règlement intérieur d’une Chambre parlementaire est une loi organique ou a la même valeur juridique que celle-ci. Rien n’est plus erratique qu’un tel rapprochement ! Bref, le Règlement intérieur d’une Chambre parlementaire n’est pas une loi organique et ne peut juridiquement l’égaler, en dépit du contrôle constitutionnel préalable et commun que les deux normes subissent. Chacune reste une règle juridique dans sa catégorie propre (règlement et loi).
« 2. L’inviolabilité du siège du Parlement, garantie par leurs RI respectifs (notamment l’art. 7 du RI de l’Assemblée nationale), est donc une obligation légale imposée à tout citoyen et à tout service privé ou public, afin de permettre aux parlementaires, au-delà d’être couverts de leurs immunités, de siéger en toute indépendance, en toute sérénité et loin de toute pression extérieure »
R/ Ça dépend de la signification donnée à l’expression « obligation légale » ci-dessus. Si les deux sens du mot « loi » rappelés ci-haut ont été bien assimilés, l’on ne peut prendre cette expression que dans le sens large de la loi ainsi expliquée. Dans ce sens, « obligation légale » signifie obligation créée ou éditée par une règle juridique, appelée en l’espèce « Règlement intérieur » d’une Chambre parlementaire. En raison de la nature juridique de son support (règlement autonome ), une telle obligation ne peut naturellement être que de nature réglementaire et ne peut évidemment avoir qu’une valeur réglementaire. Cela signifie donc que, de nature et de valeur réglementaires, le principe de l’inviolabilité du siège du Parlement ne peut être opposé à un principe ou à une règle de nature légale, conventionnelle ou constitutionnelle, en dépit de son « brevet » de constitutionnalité obtenu, par principe, au contrôle préventif de constitutionnalité dudit Règlement. C’est la conséquence même de la théorie de la hiérarchie des normes juridiques qui veut qu’un principe ou une règle inférieure ne puisse prévaloir sur un principe ou une règle supérieure.
Dès lors, je suis étonné d’entendre de la bouche de certains que, puisqu’inscrit dans un Règlement intérieur ayant subi le contrôle de constitutionnalité, le principe de l’inviolabilité du siège du Parlement devient de nature ou de valeur constitutionnelle. Il n’y a pas pire hérésie juridique que celle-là ! Hans Kelsen et tous les théoriciens du droit, spécialement ceux des sources du droit, doivent sourciller, voire même bâiller outre-tombe !!!
« 3. La séparation de pouvoirs est également garantie par notre Constitution, spécialement en son exposé des motifs, point 3, relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir. Ce qui exclut toute interférence d’une institution sur une autre, ou d’un pouvoir sur un autre, surtout lorsqu’il s’agit des questions qui relèvent de leurs fonctionnements internes ».
R/ Le principe de la séparation des pouvoirs est certainement garanti par notre Constitution, et il suffit d’observer l’aménagement des pouvoirs publics dans la Constitution (art. 68 à 217) pour le constater, voire même pour le clamer. Mais, tout interprète moyen de la Constitution sait qu’en même temps qu’elle a assigné à chaque institution un domaine de compétences déterminé, la Constitution a prévu également, entr’elles, des mécanismes de collaboration et de contrôle.
Ainsi, même s’il est élu par le peuple souverain (art. 70), le Président de la République n’entre en fonction qu’après que la Cour constitutionnelle lui ait donné acte de sa prestation de serment (art.74). De même, quoique politiquement irresponsable, le même président est pénalement justiciable de la même Cour constitutionnelle, et le Parlement n’est pas étranger dans cette procédure (art. 163-166).
Ainsi également, même si le Parlement est chargé du vote des lois (art.100 al.2, 122, 123, 124 et ss), on sait que celles-ci ne deviennent règles juridiques qu’après promulgation par le chef de l’État (art.140-142), éventuellement précédées ou suivies par le contrôle de la Cour constitutionnelle (art. 124, 139, 160 et 162). Et ainsi de suite, des exemples peuvent être multipliés.
Autant dire que le principe de la séparation des pouvoirs dans notre système juridique n’est ni rigide ni totalement souple. En tout état de cause, il n’exclut pas des mécanismes de collaboration et de contrôle entre les institutions. De sorte qu’il n’y en a aucune d’elles qui évoluent dans un vase clos ou seule dans une sorte de prairie où les pas de marche ne sont freinés que par la seule puissance du vent !
Il y a séparation des pouvoirs, oui; mais, il y a aussi collaboration et contrôle réciproque des pouvoirs !
« Ainsi, l’élection des membres du bureau, sa durée et son fonctionnement, l’organisation et le fonctionnement des commissions permanentes et des services administratifs prévues à l’article 112 de la Constitution cité ci-haut, sont des activités purement internes et domestiques à chaque chambre, du reste, réglées par son RI »
R/ Ces activités sont, certes, internes à la Chambre parlementaire, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles peuvent être menées en violation de la Constitution, des traités ratifiés, des lois et des règlements du pays.
C’est là où se situe l’origine du pouvoir de contrôle des autres institutions. C’est là que la notion d’État de droit trouve véritablement sa force et sa signification.
Le principe de la séparation des pouvoirs ne signifie donc pas que chaque institution peut braver, sans sanction, l’arsenal juridique national et être libre de s’écrier : « Silence ! Je viole ».
_ »Il est donc fort possible que son penchant politique l’aurait emporté, ne lui aurait peut-être pas permis de réfléchir objectivement et de faire parler la science. »
R/ Outre le manque de considération que je note dans cette appréciation, je voudrais simplement dire à Monsieur l’Ambassadeur de la paix que, le Droit constitutionnel étant une discipline du pouvoir, ce genre d’appréciations ne m’ebranlent guère. S’il sait que je ne porte aucune carte de parti politique, et s’il doute un seul instant de mon impartialité dans ce genre de sujets, voire même de mon « objectivité scientifique », qu’il prenne la peine de descendre de son piédestal et monte un jour à la « colline inspirée » pour m’écouter. Ce jour-là, il se fera la bonne idée de moi !
Par Paul-Gaspard Ngondankoy Nkoy-ea-Loongya,
Professeur à l’Université de Kinshasa
Ancien Vice-Doyen chargé de l’Enseignement