Plus de dix ans après la mort de Floribert Chebeya, le patron de l’ONG de la Voix des Sans Voix et de Fidèle Bazana, son chauffeur, d’anciens policiers congolais en fuite témoignent, affirment qu’ils étaient présents sur les lieux du crime à l’inspection générale de Kinshasa et accusent leurs supérieurs le major Christian Ngoy (commandant, en 2010, du bataillon des Simbas, des anciens militaires considérés comme une troupe d’élite de la police congolaise, en prison à Kinshasa depuis le mois de juillet dernier), le colonel Daniel Mukalay (inspecteur général à la division des Renseignements généraux et services spéciaux) et le général John Numbi d’être derrière ces crimes.
Hergil Ilunga wa ilunga, adjudant au moment des faits, et le brigadier en chef Alain Longa Kayeye, ont fui la République démocratique du Congo depuis de longues semaines. Un périple qui les a vu passer par plusieurs pays pour pouvoir s’éloigner de Lubumbashi où ils vivaient depuis les faits du 1er juin 2010.
M. Hergil Ilunga pourquoi avoir fui et pourquoi maintenant ?
« On n’en peut plus. Cela fait dix ans que l’on ne vit plus. Dix ans qu’on est obligés de se cacher et de se taire. Dix ans qu’on nous fait travailler sans même nous payer. Pour manger, il fallait racketter. Au mois de juillet, il y a eu l’arrestation du major Christian Ngoy à Lubumbashi. On nous a rappelés à dans la ferme du général Numbi. On s’est dit que si on y retournait, on risquait d’être tués. C’est pour ça qu’on a fui ».
Revenons au 1er juin 2010. Où vous trouvez-vous?
« Je suis à Kinshasa et je reçois un coup de fil du major Christian Ngoy et un du colonel Mukalay qui me disent que je dois aller à l’Inspection générale, que c’est une mission importante, une mission spéciale ».
On ne vous dit rien d’autre ?
« Non, nous sommes des soldats, on a appris à obéir aux ordres. J’étais aussi responsable sécurité et chauffeur du colonel Mukalay, il est donc normal que je me rende où il m’appelle. »
Que se passe-t-il à l’inspection générale ?
« On a attendu longtemps. Dans la cour, nous étions sept (et d’énumérer les noms des autres policiers de son bataillon : Jacques Mugabo, Saddam, Bruno Sotti, Doudou Ilunga, Ngoy Mulanga et Alain Longa Kayeye). Il y avait aussi le colonel Mukalay et le major Ngoy. Une Mazda grise est arrivée un peu après 16 heures. A l’intérieur, il y avait le chauffeur et le patron. Le chauffeur est resté derrière le volant et le patron est parti vers le protocole. Vers 18h, on m’a dit de me tenir prêt. Une heure plus tard, vers 19 heures, le chauffeur de la Mazda grise a été emmené dans ma jeep Defender et il a été étouffé sur le siège arrière. »
Vous avez assisté à la scène sans rien faire?
« On est des soldats. On ne savait pas qui était cet homme ».
Et ensuite ?
« On a vu le patron sortir des bâtiments de l’inspection général. Il a été placé dans la jeep que conduisait Bruno Sotti. J’ai appris plus tard qu’il était mort aussi. Là, j’ai vu le major Paul Mwilambwe sortir à son tour du bâtiment et discuter avec Christian Ngoy. Il avait l’air très énervé. Lui était dans le bâtiment et il a vu sur ses moniteurs de surveillance les policiers qui étouffaient Chebeya au rez-de-chaussée de l’inspection générale. «
Qu’avez-vous fait des corps ?
« On est allé à la résidence du général Djadjidja. Il avait une très grande parcelle. Un trou avait déjà été creusé. C’est là qu’on a enterré le chauffeur. L’autre corps a été remis dans la Mazda. On a placé des faux ongles et des préservatifs dans le véhicule pour faire croire que l’homme était avec une prostitué et qu’il serait tombé dans un piège. Ensuite, on est retourné chez le colonel Mukalay, il devait être entre 22 et 23 heures. Il y a eu un briefing. Le colonel nous a félicités pour la mission et il nous a offert deux bacs de bière. Le 3 juin, on m’a appelé chez le major Ngoy et nous nous sommes tous retrouvés dans la parcelle du général Numbi à Kinshasa. »
Vous ne saviez toujours qui avaient été assassinés ?
« Si, à ce moment-là, on le sait. La découverte du corps de Chebeya a fait beaucoup de bruit. La mise en scène n’a pas fonctionné et le lendemain, le 4, tout le monde a été embarqué à destination de Lubumbashi en deux vols. On était quatre dans le premier vol. Après l’atterrissage, nous nous sommes retrouvés dans la ferme du général Numbi. Nous y sommes restés quelque temps avant d’être affectés dans la police des mines. Là, on était toujours sous surveillance. »
Vous vous rendez compte, que vous êtes au moins complice de deux meurtres ?
« Moi, je suis chauffeur. Je n’ai pas tué. Et ceux qui l’ont fait ont exécuté des ordres. Cela ne justifie pas tout mais nous sommes des militaires et nos supérieurs ont donné des ordres. De nouveau, on ne savait pas qui étaient ces hommes. »
Qu’est-ce que vous espérez aujourd’hui ?
« On veut témoigner et protéger nos familles. Cela fait dix ans que ça dure. On est à bout. On veut dire la vérité. On sait aussi que si on retourne à Lubumbashi, après l’arrestation de Ngoy, on risque d’être tués parce que nous sommes devenus des témoins trop gênants ».
Pourquoi ne vous aurait-on pas tués plus tôt ?
« Tant que personne n’était arrêté, personne ne risquait de parler. Aujourd’hui, c’est différent. »