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L’État d’Urgence et sa jurisprudence constitutionnelle: « De la cour constitutionnelle à la cour arbitrale, en passant par la cour confusionnelle », (Tribune de MUKADI KABEYA André)

La jurisprudence congolaise en matière d’état d’urgence est portée par les arrêts R.Const. 061/TSR du 30 novembre 2007, R. Const. 1.117 du 12 décembre 2019 et R. Const. 1.200 du 13 avril 2020.

Sans entrer dans le débat sur le caractère d’acte de gouvernement non susceptible de recours en inconstitutionnalité de l’ordonnance que nous avons déjà traité le 27 mars dernier; ici nous allons parler des contradictions en forme de revirements de jurisprudence non motivées par la cour.

Dans les arrêts cités ci-dessus le juge constitutionnel a différemment défini la procédure de proclamation de cette circonstance exceptionnelle et de chaque arrêt nous allons tenter de définir le rôle jouer par le juge constitutionnel en cette matière considérant que le juge constitutionnel peut être appelé à être arbitre, interprète principal ou par incidence et protecteur des droits humains( Delpérée, F. (1985). Cour suprême, Cour d’arbitrage ou Cour constitutionnelle ? Les Cahiers de droit, 26 (1), 205–216. https://doi.org/10.7202/042659ar). Ici nous allons voir à chaque étape la cour a joué quel rôle dans sa jurisprudence.

*1. L’arrêt du 30 novembre 2007*

En 2007, dans son arrêt la cour disait non conformes à la constitution les articles 3.3 et 36 du règlement intérieur du congrès violant l’article 85 en ce sens que: Le Congrès n’a pas qualité pour autoriser la proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège. Cette décision relevait de notre avis du rôle d’interprétation par incidence en ce sens que même saisie comme juge de conformité à la constitution, la cour a eu à interpréter la confusion portée par les articles 85,86 et 119.2 de la constitution du 18 février 2006. Nous l’avons déjà dit dans nos réflexions précédentes que la thèse de l’autorisation par le congrès est due à la mauvaise légistique du constituant mieux du rédacteur de la constitution.
Donc dans cet arrêt la cour a voulu faire évoluer notre constitution en ce sens que l’une des principales fonctions reconnues à la justice constitutionnelle est de permettre, au fil de son exercice « l’adaptation et l’évolution de la Constitution »(L. FAVOREU, La légitimité du juge constitutionnel, RIDC, 2-1994, p. 590). Et l’occasion était donnée pour que une bonne lecture de ces dispositions soit promue et que les confusions d’interprétation disparaissent. Et là nous étions bien à la cour constitutionnelle, la vraie, à notre avis.

*2. L’arrêt du 12 décembre 2019*

En 2019, la même question se pose et la cours n’a nullement voulu poursuivre sa jurisprudence de 2007. Ici la cour a voulu se limiter au rôle de juge de constitutionnalité simplement sans vouloir faire comme précédemment: interpréter la constitution par incidence.

Par conséquent il déclare le règlement intérieur du congrès de 2019 conforme à la constitution totalement et sans une lecture particulière à proposer. En déclarant tous les huit chapitres du règlement conformes à la constitution( troisième feuillet de l’arrêt), parmi lesquels se trouvent les mêmes formules déclarées non conformes à l’article 85 de la constitution( ici 3.3 et 36 du règlement), la cour s’est implicitement contredite et a, d’après nous, joué à la cour confusionnelle car nous ramenant aux mêmes ambiguïtés d’antan sans souci d’adapter la constitution et d’en donner une lecture claire des dispositions portées par les mêmes articles 85,86 et 119.2 précités.

Il y a eu donc une forme d’évolution de la jurisprudence en la matière sans que le premier arrêt ne soit effacé et, nous allons le voir, il a encore servi au même juge dans d’autres circonstances. Mais cette évolution devrait être suivie des motivations en ce sens que si en 2007 la cour avait jugé les dispositions du règlement précitées de non conformes à la constitution avec des motivations en droit, lorsque cette position est appelée à être changée, il est préférable que le juge puisse encore motiver en droit le changement de tendance jurisprudentielle. Ceci est l’esprit de l’arrêt de la CEDH du 14 janvier 2010( S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, p.1832).

Donc, en 2019 jusqu’au 13 avril 2020 le congrès, malheureusement, était fondé pour exiger l’autorisation de l’état d’urgence sur base de son règlement jugé conforme à la constitution par la cour.

Voilà que lors du premier état d’urgence proclamé sous la troisième République a créé des vives polémiques entre l’institution président de la République et le parlement( congrès). Si le premier se fonde sur l’arrêt de 2007, l’autre se fonde sur son règlement intérieur et l’arrêt de la cour constitutionnelle le déclarant conforme à la constitution sous le régime d’autorisation.

Qui pour y mettre fin?

*3. L’arrêt du 13 avril 2020*

C’est donc dans ce contexte que la cour constitutionnelle saisie par le président de la République pour dire si l’ordonnance proclamant l’état d’urgence était conforme à la constitution a, malheureusement parce décidé _ultra petita_ , joué un autre rôle et celui-ci est le plus déterminant. C’est ce qu’on peut appeler « l’arbitrage politico-constitutionnel » car son arrêt au delà de tout ce qui est inscrit en motivation et dispositif n’a servi qu’à apaisé les polémiques déjà lancées par la classe politique et plus précisément l’exécutif et le législatif.

L. FAVOREU disait à propos de ce rôle que:  » lorsque majorité et opposition s’affrontent sur des questions importantes sans que les électeurs soient appelés à trancher, il est évident que le recours au juge constitutionnel pour le faire statuer sur la loi adoptée par la majorité a la vertu d’apaiser le débat et de le rendre plus serein… Le juge constitutionnel joue alors le rôle d’un arbitre: un arbitre impartial, si possible »( L. FAVOREU, _Le contrôle juridictionnel des lois et sa légitimité. Développements récents en Europe occidentale_ , Association internationale des sciences juridiques, 1984, p. 36). Ainsi donc, le juge constitutionnel, en déclarant dans son arrêt du 13 avril 2020 que au sens des dispositions 85 et 119.2 la procédure de proclamation de l’état d’urgence est optionnelle en ce sens que selon les circonstances le président de la République apprécie s’il faut se limiter à la concertation des premier ministre et présidents des deux chambres du parlement( article 85) ou démander l’autorisation du congrès en plus de cela( article 119.2), il a voulu mettre d’accord toutes les tendances politiques et même scientifiques en favorisant la cohabitation des arrêts de 2007 et 2019 pour mettre en place une interprétation hybride dans celui de 2020.

Mais en réalité la bonne lecture de cette décision d’un arbitre comme celui d’un match de football qui souvent quand il y a arrêt de jeu sans faute préalable il peut donner la balle à l’une des deux équipes en présence pour éviter la dispute du ballon, démontre qu’ici une seule partie reste le maître de l’état d’urgence en droit congolais en faisant de lui-même la seule autorité d’appréciation; dans ce contexte il faut oublier qu’il veille faire la passe à l’équipe adverse pour le rebondissement du match. Donc le congrès devait oublier, pratiquement, cette autorisation.

*CONCLUSION*

Ainsi donc, il est vrai que la jurisprudence constitutionnelle comme toute autre est appelée à évoluer dans le temps comme le droit lui-même est évolutif. Cette forme de revirement est celle que Thierry DI MANNO appelle « revirement brutal », celui qui vient contredire un arrêt ou jugement très récent pris par la même juridiction du moment dans le temps qui sépare les deux décisions la première ayant été décidée ou appliquée plus récemment. C’est ainsi que le conseil constitutionnel abjure dans sa décision blocage des prix et des revenus du 30 juillet 1982, une jurisprudence qu’il semblait avoir appliqué trois jours plutôt( https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/les-revirements-de-jurisprudence-du-conseil-constitutionnel-francais).

En Ce qui est du juge. Constitutionnel congolais, il a renié une jurisprudence qu’il a posé moins de 5 mois plus tôt; dans ce contexte l’arrêt de 2020 s’inscrit mieux, à notre avis, dans une forme de brutalité jurisprudentielle.

Quoi qu’il en soit, il y a lieu de dire aussi que comme pour tout juge et partout ailleurs quasiment, _Cour s’incline devant les leçons de l’expérience et la force d’un raisonnement plus pertinent._( Burnet c. Coronado Oil & Gas Co., 285 U.S. 393 (1932), p. 406-408 (opinion dissidente du juge Brandeis). Ceci dit, il y a que Rabbie( Dieu) qui ne change pas; les humains changent avec le temps, le contexte et les circonstances.

Tel est le voyage jurisprudentiel de notre cour constitutionnelle dont l’objet est l’état d’urgence: un long voyage plein des rebondissements!

*MUKADI KABEYA André*
_Chercheur en droit_
Contact: 0823668576

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