Cher Monsieur le Président,
Je rédige cette missive tout en sachant que vous ne le verrez certainement jamais. C’est à la fois une désillusion et une opportunité. Désillusion parce que je tenais tellement vous faire part de mon désarroi, une année et 6 mois après votre prise de fonction. Opportunité puisque je me sens libre de m’exprimer sans contraintes protocolaires qui, de fois, frisent la sincérité. Cependant, je garde foi que le miracle de vous voir lire ceci se produise.
Cher Monsieur le Président,
La nuit du 9 au 10 janvier 2019, lorsque Corneille Nangaa dévoilait le total de vos voix, personne n’a attendu la fameuse formule «Est élu Président de la République» pour pousser un ouf de soulagement. En effet, le sort a voulu que votre nom soit cité en dernier parmi les 3 protagonistes. Votre victoire était tout de suite célébrée dans plusieurs coins du pays. Certes, certains ont contesté, c’est aussi ça la beauté de la démocratie qui ne rime nullement avec unanimité. Vous étiez, en attendant la confirmation de la Haute cour, devenu le deuxième Président élu au suffrage universel direct. Je me souviendrai pendant longtemps de votre célèbre phrase: «ce n’est pas une victoire d’un camp contre l’autre».
Oui, c’était une victoire nationale pour des élections organisées et financées par nous-mêmes, une fierté, n’en déplaise à ceux qui ont crié à un «compromis à l’africaine». Nous étions tellement fiers d’assister, le 25 janvier 2019, à une passation pacifique et civilisée du pouvoir entre un ancien et un nouveau Chef d’Etat, tous deux issus des élections. J’avoue, ce jour-là, j’étais aux anges, fier de dire à mes amis d’autres pays que nous, la RDC, avons donné une leçon à l’Afrique.
Monsieur le Président,
Votre élection, au-delà de tout enthousiasme, dénotait également une volonté de rupture d’avec l’ancien système qui, je pense, ne doit sa large victoire aux législatives notamment qu’à l’alignement de plusieurs listes électorales. Le peuple congolais, vous le savez, ne maîtrise que très peu la Constitution ou encore le Job-description de différents animateurs des institutions. Pour un Congolais lambda, Cher Monsieur le Président, le député est cette autorité qui doit jeter des ponts, couvrir des nids-de-poule ou encore réhabiliter les écoles. Pour le reste, c’est le Président qui gère.
Ce n’est certes pas vrai, mais je crains que cela ne vous coûte votre Présidence. D’ailleurs, vous l’avez si bien dit dans un de vos messages à la Nation intitulé «Le changement». Oui, le peuple a soif de changement, il désire ardemment voir sa situation précaire s’améliorer. Il continue d’attendre, lui qui devait pourtant être la priorité. Plus que «le peuple d’abord», cela devait être «le peuple toujours». Malheureusement, de deux, on est passé à «Le peuple attend».
Le 25 juin 2020, vous avez totalisé 1 année et 5 mois à la tête de la RDC. Tout compte fait, il ne vous reste qu’exactement 3 ans de mandat, les élections devant être convoquées au moins 90 jours avant l’expiration de votre bail présidentiel. Trois ans c’est fois peu mais surtout suffisant pour accomplir les tâches pour lesquelles le peuple vous a porté à la magistrature suprême, à condition que vous mettiez chaque jour à profit. Ne le perdez pas de vue, vous avez un patronyme à protéger et un prénom à forger. Feu Etienne Tshisekedi, de là où il se trouve, scrute vos faits et gestes. Ne vous écartez pas, je vous en supplie, de votre modèle de père.
Cher garant de la Nation,
Votre vision, vos ambitions, votre détermination pour un Congo plus grand, plus puissant au cœur de l’africanisme font rêver et ne souffre d’aucune contestation. Malheureusement, cela ne suffit pas et le constat est alarmant. Vos bonnes intentions sont rarement traduites en actes et lorsque cela est fait, le suivi fait défaut et l’œuvre est souvent inachevée. Les sauts-de-mouton, les maisons préfabriquées, la promesse d’appui à l’entrepreneuriat des jeunes, le programme présidentiel accéléré de lutte contre la pauvreté et les inégalités…, autant de bonnes intentions mort-nées qui, au lieu de vous propulser, vous font plonger.
Que dire de votre adresse à la nation à l’aube de l’année 2020 que vous avez décrétée celle de l’action? Six mois plus tard, quel bilan faire de ces actions si seulement il y en a eu? Je suis tenté de mettre la léthargie à l’actif de la crise sanitaire mais j’ai bien peur de ne pas trop y croire. Car en six mois, les scandales de dilapidations des fonds publics dépassent tout entendement à croire que nous ne sommes pas en «guerre».
Oui, Cher garant de la Nation, le 18 mars vous avez fait une «déclaration de guerre» contre un «ennemi invisible». Une guerre qui ne concernait pas que nos vaillants FARDC. Elle plaçait au front chaque citoyen, vous et votre gouvernement en premier, puis le parlement jusqu’au dernier des Congolais. Très souvent, une guerre implique sacrifice, malheureusement, notre guerre 2.0 m’a l’air futuriste. Entre les détournements des deniers publics et les demandes de rallonge salarial de certains, je me sens perdu. Que dire du Fonds de solidarité contre la Covid-19 qui peine à mobiliser les ressources alors que la riposte, pendant ce temps, accuse plusieurs mois d’arriérés? Peut-on remporter une guerre lorsque les généraux s’accaparent la solde de soldat de rang?
Aussi, cher Monsieur le Président, l’économie est au plus bas, l’inflation à son comble. Le franc congolais rivalisera bientôt avec le dollar zimbabwéen si on n’y prend garde. La population, asphyxiée, ne sait plus à quel saint se vouer. Je me fais ici porte-parole de voix sans voix, ceux qui pensent que vous foncez droit vers un mur, que vous êtes en train de rater votre mandat. Vous pouvez encore rectifier le tir.
Vous gouvernez certes en coalition, mais souvenez-vous, le peuple vous a élu et vous-seul. C’est à vous qu’il demandera des comptes (si ce n’est pas encore en train d’être déjà fait) et à personne d’autre. Dans 40 mois, vous aurez un bilan à défendre, ce ne sera pas celui de la coalition FCC-CACH mais bien le vôtre, le n°20 de 2018, lequel a promis un budget de «vaincre la pauvreté». Combien de personnes seront prêts à voter pour vous sans que vous ayez à battre campagne? C’est la question que devrait se poser chaque personne qui ambitionne de se représenter à un scrutin, vous êtes dans ce cas je suppose. Contrairement à vos adversaires de 2023 (s’il y aura élection), vous jouez à la fois pour vous et pour eux. Votre réussite consacrera leur défaite en 2023 et votre échec leur donnera des arguments, à vous de voir.
Cher Monsieur le Président,
Je n’aborderai pas ici l’ombre de la crise institutionnelle entre les pouvoirs judiciaire, législatif et judiciaire, pris deux à deux. Vous êtes sans ignorer que nous avons récemment frôler le clash entre le judiciaire et le législatif, l’acte 2 pourrait être actionné par les Lois «justicides» en gestation. Que dire des guerres au sein même du gouvernement?
Et votre communication dans tout ça? Elle ne vous aide nullement cher Monsieur le Président. J’espère que le réaménagement prochain de ce département de votre cabinet permettra d’entrevoir des lendemains meilleurs.
Voilà grosso modo, mes préoccupations vous adressées, le premier d’entre nous, alors que le pays s’apprête à célébrer le 60ème anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale, votre deuxième en tant que Chef de l’Etat, dans un contexte à la fois de crise sanitaire, économique, institutionnelle, politique et de récession. Je ne dirai pas de crise de leadership parce que je crois en vous.
Bonne méditation.
Bien à vous, avec mes hommages les plus déférents!
Dandjes Luyila