actualitépolitique

«De la suppression ou de la réforme du Sénat congolais », (Tribune de Kabeya André)

La république démocratique du Congo, notre pays, a connu une première en 2019 lors des élections sénatoriales qui ont été suivies des soupçons et dénonciations de corruption caractérisée dans la désignation des sénateurs.

Ceci a conduit même à ce que l’installation du sénat soit suspendue puis rapidement autorisée à la suite d’une réunion interministérielle dirigée par le président de la république, qui lui-même a dû s’exprimer à ce sujet en proposant la réforme du sénat par le mode de scrutin qui devrait, selon lui, passer du suffrage universel indirect au suffrage universel direct.

D’autres compatriotes ont même voulu que le sénat soit simplement supprimé, ce qui implique que la RDC sera désormais un Etat à parlement monocameraliste.

De tous les voeux, suppression et réforme, la question qui devrait être posée est de savoir si suppression ou réforme aurait un impact sur la forme de notre Etat, qui en vertu de l’article 220 de la constitution congolaise du 18 février 2006 ne peut en aucun cas faire l’objet ni de suppression, ni de réforme, c’est-à-dire être sujet d’une révision de la constitution. Nous avons vu dans plusieurs pays d’Afrique un vent qui a touché spécialement les sénats de certains pays qui ont fini par le supprimer de leur régime politique, c’est le cas du Niger, du Tchad, du Sénégal pour des raisons économiques et/ou politiques.

Par cette réflexion nous nous proposons d’étudier ces possibilités dans notre pays en passant par la manière dont cette chambre haute du parlement est organisée et en répondant aux questions de savoir si on est obligé d’avoir un sénat? Si non, quels sont des critères pour adopter d’avoir un sénat? Que représente-t-il dans le développement du pays? Ces procédures pourront facilement aboutir si elles sont initiées?

Signalons que le sens des mots « ici » et « ailleurs » dans cette réflexion renvoit, non seulement à la géographie, c’est-à-dire ici en RDC et ailleurs à l’étranger; ces mots revêtent aussi et nécessairement un sens juridique du moment où nous allons démontrer l’influence de la forme de l’Etat sur le parlement qu’il doit avoir: monocaméral ou bicaméral. La RDC se trouvant classiquement dans la catégorie des États unitaires( ici), son sénat sera comparé à celui que l’on peut trouver dans un Etat fédéral( ailleurs). Nous verrons bien la nuance que nous en faisons.

Pour mieux répondre à ces questions et au problème que ce sujet pose, nous allons repartir notre travail en deux sections: l’une porte sur la notion même du sénat( section 1) et la deuxième sur la place du sénat en république démocratique du Congo( section 2) et la réflexion sera sanctionnée par une conclusion.

SECTION 1: SÉNAT: POURQUOI FAIRE?

Du point de vue institutionnel, le sénat est autrement appelé chambre haute du parlement parce que supposé réunir les sages d’une société si on s’en tient à son sens antique romain; lequel parlement est composé d’une ou deux chambres ayant pour mission de voter les lois et de controler le pouvoir exécutif( S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques 2017-2018, p. 1483).

La RDC est sous le régime bicaméral qui implique en principe l’existence d’un sénat aux côtés de l’assemblée nationale, cette dernière représentant la nation congolaise et le sénat, lui, représentant les provinces en vertu des articles 100 et 104 alinéa 2 de la constitution congolaise.

Notre travail portant sur le sénat, nous devons comprendre son sens ici et ailleurs(§1) avant de voir quel est son rôle ici et ailleurs(§2)

Paragraphe 1: Le sens du sénat d’ici et d’ailleurs

Comme nous l’avons dit ci-haut en ce qui est des concepts « ici » et « ailleurs », il sied de se démander pourquoi certains pays ont un sénat et les autres n’en ont pas? Cette question trouve de réponse sur un principe peu connu de plusieurs et peu enseigné dans nos universités.

En effet, ce n’est pas parce que nous pensons avoir des sages que nous adoptons d’avoir un sénat; il ne s’agit pas non du fait de vouloir donner de l’emploi à une catégorie des citoyens vu que les fonctions sénatoriales sont rémunérées par l’Etat; encore moins de la superficie du pays où par magie que l’on choisit d’avoir un sénat en plus d’une assemblée nationale ou d’une chambre des représentants.

Quel est donc le principe?

En réponse, ce n’est pas en raison de tous ces faits qu’un sénat peut être inutile, facultatif ou obligatoire dans un Etat, mais plutôt en raison de la forme étatique qu’il porte. Ainsi, si un État unitaire peut indifféremment se tourner vers le monocamérisme ou vers le bicamérisme, en revanche une Fédération optera toujours pour le bicamérisme en tant que la chambre basse représente le peuple et la chambre haute les entités fédérées( Julien BOUDON, Bicamérisme ou bicamérismes ?, in Historia et ius, 2016, p. 16).

Ce principe, à notre avis, peu connu, mais pourtant vécu implique donc qu’il ne peut exister un Etat fédéral sans sénat et le sénat n’est pas inutile pour un Etat unitaire, il lui est facultatif car pouvant s’en passer. Une recherche sur l’organisation des Etats fédéraux a prouvé que aucun n’a dérogé à ce principe, car un État fédéral ne peut exister si les Etats fédérés n’existent pas et pour son existence effective ceux-ci doivent obligatoirement être représentés au niveau fédéral en vertu du principe de participation qui est l’un des fondements du fédéralisme assurant aux États fédérés une représentation et un pouvoir d’action afin de participer à la vie fédérale( J. DJOLI, Droit constitutionnel Tome I, 2015, p.120)

Ceci nous pousse à affirmer que le fédéralisme est très proche du mariage civil que ça soit dans la conception homo( que nous refutons) ou hétérosexuel, il exige toujours deux personnes: l’homme et la femme. Et pour le fédéralisme il faut toujours considérer le peuple et les Etats fédérés, le premier représenté par l’assemblée nationale et les deuxièmes par le sénat.

Ainsi disait B. OBAMA que le sénat( américain) par ses règles et sa conception reflète le superbe compromis de la fondation de l’Amérique: le marché conclu entre Etats du Nord et Etats du Sud.( B. OBAMA, L’audace d’espérer, Nouveaux horizons, 2007, p.82); la disparition du sénat est donc la remise en cause du fédéralisme. C’est ça le sens du sénat ailleurs.

Par contre dans un Etat unitaire, le sénat est une option. Ceux qui ne l’ont pas prévu dans leurs constitutions ont tous cette forme d’Etat. C’est ainsi que là où il y a toujours deux courants( unitariste et fédéraliste) dans la rédaction des constitutions, si c’est le fédéralisme qui triomphe c’est un véritable bicamérisme qui s’installe, quand on fait semblant le bicamérisme est de complaisance et quand on est fin unitariste c’est le monocameralisme qui s’impose.

Ceci peut s’expliquer par l’histoire constitutionnelle de la république démocratique du Congo qui a connu une forme de fédéralisme sous la loi fondamentale de 1960 et a eu normalement le bicamérisme. Par la suite, en 1964, suite à un compromis entre fédéralistes et unitaristes un bicamérisme fut reconnu pour satisfaire tous les bords politiques parce que l’unitarisme fut en principe reconnu mais en voulant donner la voix aux provinces on devait leur reconnaître une représentation au niveau national. Mais quand venait Mobutu, un fin unitariste, en 1967 il y eut normalement un monocameralisme imposé. La troisième république qui remonte de 2006 a clairement défini l’Etat congolais, comme, pour la deuxième république, comme un Etat uni, mieux unitaire, mais regionnalisé, avec un bicamérisme auquel nous dirons un mot dans cette réflexion.

Donc, l’existence du sénat ici ou ailleurs devrait être perçue dans ces sens car c’est en interiorisant ces nuances que l’on pourra penser réformer ou supprimer le sénat. Voilà qui nous conduit à voir maintenant le rôle du sénat dans les mêmes contours.

*Paragraphe 2: Le rôle du sénat d’ici et d’ailleurs*

Ici il nous importe de comprendre ce qu’un sénat est appelé à faire et de celà on va devoir comprendre les variations que peut connaître un parlement qui admet son utilité ou son obligation selon le cas.

Par définition, le sénat est une représentation d’un corps bien déterminé et celui que nous étudions ici est la représentation des entités territoriales contrairement aux assemblées nationales qui représentent la nation telle que le nom l’indique; c’est-à-dire l’ensemble de toute la société qui se reconnait membre d’un Etat. Mais de par le sens du mot représentation et les attributions diversement reconnues aux sénats par les coinstitutions d’ici et d’ailleurs, il s’avère que le sénat est d’une double représentation lorsqu’il participe à la procédure législative.

Le principe pour tout sénat, qu’il soit d’option pour un Etat unitaire ou d’obligation pour un Etat fédéral, est que normalement le sénat représente les provinces, les Etats déférés, etc. Selon le cas. En France ce rôle est clairement et explicitement prévu à l’article 24 al. 4 de la constitution française de 1958; aux USA cette mission est implicitement reconnue du fait de la forme de l’Etat elles-même, en RDC nous l’avons dit, c’est l’article 104 al. 2 qui le prévoit.

Ceci étant un rôle générique, notre réflexion est allée plus loi dans la notion de représentation pour trouver un autre rôle du sénat par le fait qu’il est une composante de l’édiction des lois. Ce rôle est le seul moyen de défense pour les partisans de l’importance du sénat qui croient que avec sa participation à la production législative le sénat protège le peuple contre les abus d’une seule chambre chargée à cela.

Ceci fait que en tant que chambre du parlement le sénat représente les provinces mais il peut avoir aussi une représentation fonctionnelle.

Pour comprendre de quoi il s’agit nous avons découvert que, selon le mot de Barnave, en 1791, « représenter, c’est vouloir pour la nation ». Or comme la loi est l’expression de la volonté générale, au terme de l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789, représenter, c’est légiférer. Tout organe de l’État qui participe, d’une manière ou d’une autre, à la législation est considéré comme un représentant [du peuple].( J. BOUDON, op cit).

Ainsi, au delà de la représentation des provinces, le sénat vise aussi l’intérêt du peuple et l’intérêt national même en ce sens que,même représentant la province on peut voter de fois contre son intérêt vu l’interdiction du mandat impératif aux USA comme en RDC en vertu du même article 104 de la constitution précitée.

Signalons donc que ces rôles ne sont pas universels pour tous les sénats; ils ressortent donc de la lecture de notre constitution et de certains pays ciblés. Il en est de même du mode de désignation des sénateurs.

Le rôle qu’un sénat d’ici ou d’ailleurs donne lieu à différents types de bicamérisme dont principalement le bicamérisme égalitaire et le bicamérisme inégalitaire au profit soit de la chambre basse, soit de la chambre haute. Le premier est celui pratiqué en Italie où les deux chambres ont les mêmes attributions et pouvant toutes être dissoutes; la RDC et la France ont elles atténué les inégalités entre les deux chambres au profit de la chambre basse du moment où il appartient à cette dernière le dernier mots en matière législative ( article 135 de la constitution congolaise) sauf exception expresses; les USA ont inversé par contre les inégalités au profit du sénat qui a beaucoup de compétences que la chambre des représentants comme c’est le cas pour la ratification des traités internationaux.

Voilà en bref la notion du sénat qui nous interesse ici dans cette réflexion. Ce qui nous conduit à répondre à la possibilité de supprimer ou de réformer le sénat ici, en RDC.

SECTION 2: SÉNAT CONGOLAIS: SUPPRIMER OU REFORMER?

Après avoir étudié la première section de cette réflexion nous pouvons déjà apprécier la réponse à ces deux préoccupations de notre société. En tant que Etat unitaire, notre sénat peut être supprimé ou réformé si les raisons sont justes.

Par exemple, dans un pays où les dépenses publiques sont à moitié consommées par les institutions de la république, il est opportun de penser à en diminuer par la voie de la suppression(§1); ou encore quand on sait déjà que la manière de devenir sénateur laisse à désirer au point de vider tout le prestige de cette fonction, ce à l’image de la corruption qui a scandalisé plus d’un congolais et le président dea république lui-même, il y a lieu de pouvoir chercher à éviter tout cela dans l’avenir par la voie de la réforme(§2) et tout cela sans violer l’article 220 de la constitution.

Paragraphe 1: De la suppression

En effet, supprimer le sénat ne sera pas un péché du moins si l’on considère la caractère unitaire de l’État congolais sous la 3ème république.

À l’image des autres pays africains cités ci-haut, il y a de quoi se dire que la RDC peut aussi faire le choix d’améliorer la vie sociale de sa population en prenant le courage de supprimer cette institution budgetivore qui n’est pas du tout indispensable car si la raison de son maintien pour nous ici( l’unitarisme) est qu’il harmonise le travail législatif, il est aussi vrai que cette raison peut aussi s’avérer inutile et encombrant quand on sait que dans un Etat de droit constitutionnel il y a le principe de contrôle de constitutionnalité des lois. S’il faut que la procédure législative soit élargie à la participation de toutes les deux chambres avec la possibilité du veto présidentiel, cela peut prendre beaucoup de temps et enfin de compte voir que cette loi puisse être déclarée inconstitutionnelle par la cour constitutionnelle par action pour les lois organiques en principe et par exception pour toutes les autres lois. Nous pensons que l’on peut bien simplifier la procédure législative et laisser seule la cour constitutionnelle assurer l’harmonisation des lois et la protection des citoyens contre les abus du législateur comme nous l’avons déjà démontré par le concept de constitocratie( cfr MUKADI KABEYA, la revue de l’étudiant congolais, 2019).

Ainsi, en plus des raisons économiques il y a bien des motivations procédurales qui peuvent justifier sa suppression.

Mais on devra bien faire attention; le régionalisme politique dans lequel la RDC se trouve et sur lequel notre bicamérisme est fondé n’a pas atteint le fédéralisme et a considérablement dépassé l’unitarisme classique. Il demeure tout de même unitaire.

Paragraphe 2: De la réforme

Ici il est opportun de ne pas se passer de la proposition déjà faite par le président de la république à ce propos: la lutte contre la corruption des sénateurs et de leurs électeurs-députés provinciaux.

La réforme du sénat devra nécessairement porter sur le mode de scrutin pour les élections sénatoriales. Considérant ci-haut la mission de représentation diversifiée du sénat il sera mieux que les sénateurs soient élus au suffrage universel direct afin de renforcer et de faciliter la compréhension de leur représentation nationale, et ce sans se cacher derrière une légitimité populaire indirecte qui n’est que fictive chez nous malheureusement.

Nous pensons donc que cet exercice repondra à un problème social, dans ce cas c’est important de le faire.

CONCLUSION

Après ce long parcours en lignes de phrases, il y a lieu de dire que la forme de notre Etat est favorable à une éventuelle suppression ou réforme du sénat congolais.

Il est donc suivi des motivations justes et justifiées qui militent pour qu’on en arrive là même si nous sommes conscient des obstacles qu’il y a pour y arriver.

Considérant déjà le sénat comme un emploi politique, les sénateurs congolais voient dans le sénat l’arbre qui les abritent et dont ils ne seront jamais d’avis qu’on le coupe définitivement ou qu’on réaménage la manière d’y arriver vu qu’ils s’habituent déjà aux maux de la corruption sénatoriale qu’ils devront sûrement qualifier autrement pour trouver un bon terme qui malheureusement dira la même chose que le fond du problème.

Et pour cela ils ont les gros moyens pour que personne ne puisse toucher à ce sénat qui est en réalité l’arbre fruitier des sénateurs.

Il suffit, que la proposition soit faite pour une révision de la constitution soit pour reformer soit pour supprimer le sénat et le projet sera facilement rejeté car en vertu de l’article 218 de la constitution le vote du bien fondé de l’initiative de revision risque de ne pas être pris par le congrès si tous les sénateurs votent contre et que la majorité des députés puissent les soutenir en solidarité à leurs collègues honorables. Dans ce cas la majorité absolue du congrès ne sera pas atteinte que si la conscience et l’intérêth général sont le maître mot de la politique congolaise.

Mais pour le reste, c’est possible!

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page