
Le Consortium de Lutte contre la Corruption (CLCC) a exprimé sa profonde préoccupation suite à la récente déclaration du Président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, qui a appelé la Cour constitutionnelle à « régulariser » la situation du sénateur Augustin Matata Ponyo. Ce dernier est mis en cause dans le cadre du projet agro-industriel BUKANGA LONZO, un dossier sensible qui soulève des questions sur l’intégrité des institutions judiciaires en République Démocratique du Congo (RDC).
Cette intervention du président de l’Assemblée nationale est perçue par le CLCC comme une ingérence politique grave dans une procédure judiciaire en cours, violant ainsi le principe fondamental de séparation des pouvoirs, tel que stipulé par l’article 150 de la Constitution congolaise. Ce principe, rappelé par Montesquieu, relève que « il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée des deux autres ». En appelant à une régularisation politique, le Président de l’Assemblée nationale remet également en question l’article 12 de la Constitution, qui garantit que « tous les Congolais sont égaux devant la loi ».
Augustin Matata Ponyo, ancien Premier ministre, a été au cœur du projet BUKANGA LONZO, qui devait transformer le paysage agricole du pays. Cependant, les rapports de l’Inspection Générale des Finances (IGF) révèlent des pertes pour l’État dépassant le milliard de dollars américains. En contournant les mécanismes de redevabilité et en affaiblissant les engagements de l’État en matière de lutte contre l’impunité et de bonne gouvernance, cette ingérence envoie un message inquiétant sur la tolérance à l’égard des crimes économiques.
Un projet stratégique vidé de son objectif
Le projet BUKANGA LONZO, initialement conçu pour moderniser l’agriculture congolaise et réduire la dépendance alimentaire extérieure, a été financé à hauteur de 285 millions USD par le Trésor public. Cependant, selon l’IGF, seulement 80 millions USD ont été réellement affectés aux activités effectives, laissant plus de 205 millions USD sans justification. L’arrêt prématuré du projet en 2017 a non seulement marqué un échec programmatique, mais a aussi entraîné un manque à gagner considérable pour l’État et les acteurs économiques locaux.
Une perte économique colossale
L’évaluation des pertes engendrées par cet échec peut être structurée selon plusieurs dimensions :
1. Valeur ajoutée non générée : Le projet visait une production annuelle de 150 000 tonnes de denrées agricoles, ce qui aurait généré un chiffre d’affaires attendu de 52,5 millions USD par an. En termes de valeur ajoutée, cela représente une perte potentielle de 210 millions USD sur dix ans.
2. Recettes fiscales non perçues : L’exploitation du projet aurait permis de générer entre 10 et 12 millions USD de recettes fiscales par an. Sur une période de dix ans, cela équivaut à une perte pour le Trésor public de 100 à 120 millions USD.
3. Perte de devises liée aux importations maintenues : L’échec du projet a également eu pour conséquence une dépendance accrue aux importations alimentaires, entraînant une fuite de devises qui aurait pu être évitée.
Le CLCC appelle à un respect strict de l’indépendance du pouvoir judiciaire, fondement essentiel d’un État démocratique. L’ingérence d’une autorité politique dans une procédure judiciaire en cours constitue un dangereux précédent qui fragilise non seulement la crédibilité des institutions, mais aussi la confiance des citoyens dans la justice.